Mange ce que ton corps te dit
Voici un échange très constructif que j'ai récemment eu sur Facebook avec Philippe après la publication d'une photo illustrant le repas de midi de Jean-Jacques qui nous livrait son témoignage (notre photo). La qualité des questions nourrit celle des réponses... Je vous laisse déguster.
Philippe : Pardonnez-moi mais j'ai du mal à voir ce qu'il y a de "naturel" à disposer sur sa table d'une récolte de fruits pour la plupart créés de toutes pièces par l'Homme ou trafiqués pour les rendre bien plus sucrés qu'ils ne le seraient "naturellement", dans un but exclusivement commercial, et qui en plus poussent dans des régions différentes et à des saisons différentes. Je n'ai rien contre les fruits, j'adore ça. Je trouve par contre le terme d'alimentation "naturelle" un peu présomptueux pour décrire le repas qu'est entrain de prendre le monsieur sur la photo.
Bernard : Vous avez raison. "Alimentation Naturelle" est un vocable qui demande un éclaircissement : merci de me donner l'occasion de le faire. L'adjectif naturelle ne concerne pas uniquement les aliments, seulement pour la moitié du parcours. L'autre moitié c'est la manière dont notre organisme sait nous approcher des aliments naturels : c'est une manière qui est innée et en même temps qui demande une acquisition que nous n'avons pas eu pour la plupart d'entre nous. Le nez est en avant du corps et la bouche aussi : ils sont dotés de notre odorat et de notre goût. C'est par leur interface qu'on est invité à aborder les aliments naturels. Le grand secret (qui ne devrait pas en être un) c'est que la perception d'une odeur ressentie d'un aliment naturel (tel que la nature nous les donne, non préparé d'aucune façon) varie dans le temps : si elle est agréable, c'est que l'aliment est utile au corps, il convient de le manger, et dans le cas inverse, il vaut mieux l'oublier et ne pas le manger. Les animaux sauvages font ça depuis leur origine : sans doute nos ancêtres plus ou moins lointains le faisaient aussi.
Naturelle a donc deux attributs : les aliments bruts et donc crus, et le corps qui les appréhendent à travers ses "organes sensoriels". Le principe est simple, son application se heurte à nos "faux apprentissages". 40 ans que je le pratique et que j'accompagne tous ceux qui s'y intéressent et veulent l'expérimenter m'ont convaincu de la pertinence de cette approche : c'est ce que je souhaite partager à travers la parole de Jean-Jacques.
Philippe : Je comprends la démarche et j'y adhère sans réserve. Je suis convaincu que l'écoute des signaux que nous donne notre corps, notamment en matière d'alimentation, est la clef de la pleine santé.
Vous parlez cependant d'aliments "tels que la nature nous les donne". Personnellement, je n'en vois aucun sur la table de ce monsieur... Exemple le plus facile: la banane cavendish, produit synthétique industriel par excellence, certainement plus proche de la barre chocolatée que de la banane sauvage. Si les sens comme le goût et l'odorat n'expriment leur plein potentiel qu'avec des aliments "tels que la nature nous les donne", ce n'est certainement pas avec des mangues Kent et des bananes cavendish qu'ils y arriveront. Autant aller au resto, respirer l'odeur faussement flatteuse d'une crème caramel et se dire que si ca sent si bon c'est qu'on en a besoin. Se dire que parce que ce sont des fruits, qu'ils poussent dans de la terre, donc c'est naturel et ça sera bon pour nous si ça sent bon et que ça a bon goût me semble être l'excuse parfaite pour justifier l'addiction au sucre (au fructose en particulier) que ce mode alimentaire aura créé. Alimentation "naturelle", oui pour ce qui est de l'écoute de ses sens, pour le reste, je suis perplexe...
Bernard : Dans l'absolu, vous avez raison. Nous devrions pouvoir vivre avec les fruits trouvés ou récoltés dans la nature. Sauf que l'homme a sacrément impacté la nature. Par exemple, les forêts vierges sont quasiment inexistantes en Europe. C'est que l'agriculture est passée par là. L'homme a sélectionné les plantes, les arbres; il les a multipliés et plantés en ligne dans des espaces où il n'a mis qu'une variété issue de ses sélections, comme la banane cavendish. C'est bien regrettable. Je préférerais vivre dans une terre vierge, épaisse dans ses strates vivantes et diversifiée dans ses offrandes d'aliments nature.
Seulement, la limite ne se met pas là où vous voulez la mettre : quel alors est notre "juge de paix ?".
Nous avons découvert la variation des odeurs perçues sur des aliments nature : elle ne marche pas sur des aliments préparés, cuits, mélangés, broyés. Sur des aliments bruts, oui, y compris sur la banane cavendish : quand le corps n'en n'a pas besoin, c'est une odeur de caoutchouc chimique assez désagréable; si, malgré ce signe négatif, on la met en bouche, la salive ne vient pas et on peine à la mastiquer et à la déglutir; on a envie de la recracher.
C'est le comportement à l'instinct qui a été notre signe d'acceptation ou de rejet de notre plage alimentaire dont nous nous préoccupons en permanence. Ainsi, la sélection "massale" (comme on dit, par hybridation et/ou multiplication végétative) n'est pas un artifice qui déjoue les mécanismes sensoriels humains : dès lors, nous acceptons la banane cavendish dans notre choix. Il en est ainsi de chaque fruit et légume, graine et autre aliment nature.
Dans un second niveau de préoccupation plus avancé, nous encourageons la production et l'achat de fruits et légumes peu sélectionnés, anciens, abandonnés, oubliés tels que : corme, amélanche, asimine, et bien d'autres... avec lesquels l'instinct marche de façon plus nette. Mais les fruits et légumes courants fonctionnent à l'instinct : il n'y a dès lors aucune raison de les proscrire.
Bien sûr, les OGM dont on parle sont absolument proscrits. Et il en est un, méconnu du grand public, c'est le blé moderne dans toutes ses variantes : les manipulations génétiques le concernant remontent à près d'un siècle... Et ça, c'est l'expérience qui nous a fourni l'alerte.
En résumé, il ne s'agit pas de récuser tout artifice sorti de la main de l'homme, mais de détecter dans tout artifice s'il contient des éléments nocifs qui déjouent le fonctionnement naturel des sens ou pas.
Philippe : Je comprends votre démarche et je suis certain que bien des gens bénéficieraient à adopter un tel mode alimentaire.
Qu'en est-il des produits carnés? Viandes, abats, œufs, poissons? J'aurais tendance à penser, en suivant votre logique, que pour autant que les animaux ont reçu une alimentation qui correspond à leurs besoins physiologiques naturels, "l'instinct" fonctionne parfaitement quand il est soumis à ces denrées. D'autant que les carences en vitamines du groupe B, en acides aminés essentiels, en vitamines liposolubles, en acides gras omega 3 qu'on ne trouve que dans les produits animaux, se retrouvent chez près de 100% des gens qui pratiquent une alimentation traditionnelle ou encore une alimentation principalement axée sur le végétal, influencés par la propagande de l'industrie céréalière.
N'aurait-on pas tout intérêt à proposer à notre corps ce type de produits beaucoup plus souvent que des bananes cavendish, des chirimoyas ou des mangues kent, quasiment dénués de micronutrition? Pour le coup, on fait difficilement plus naturel qu'un foie de bœuf nourri exclusivement à l'herbe, ou qu'une côtelette d'agneau nourri exclusivement au lait de sa mère qui elle même a été nourrie exclusivement à l'herbe.
Bernard : Votre raisonnement est empreint de logique. Si dans un premier temps (au tout début de la démarche) nous avions récusé les protéines animales, toute une série de faits nous ont conduit à les réintroduire. Nous avons dans notre choix de protéines (s'entend "aliments riches en protéines et en graisses"), outre toutes sortes de protéines végétales, des protéines animales de la terre et de la mer : viandes, abats, œufs, coquillages, mollusques, poissons, etc. Pour les viandes et œufs, ils doivent être issus d'animaux ayant eu une alimentation 100% naturelle toute leur vie, comme vous le dites justement.
Même si nous n'en mangeons pas au rythme de ce qui se pratique en alimentation conventionnelle, ces aliments sont de la plus haute importance. S'en priver ostensiblement, c'est amoindrir les chances de restaurer un état de forme optimum. Tout dépend des besoins de chaque corps : on ne peut répondre sur la présence ou l'absence du besoin qu'en demandant aux sens... tout comme pour tous les autres aliments nature.
Philippe : Malheureusement, des animaux ayant eu une alimentation 100% naturelle toute leur vie... autant chercher une aiguille dans une botte de foin. Enfin bon, personnellement quand il me prend de manger de la viande rouge, je me contente volontiers de celle de la ferme bio d'à côté de chez moi dont je sais que les exploitants nourrissent leurs bêtes sans céréales, c'est déjà ça.
Qu'entendez-vous par "toutes sortes de protéines végétales"? Pouvez-vous donner des exemples d'aliments végétaux protéinés qui peuvent constituer la base d'un repas cru?
Bernard : Protéines végétales : graines oléagineuses (tournesol, sésame, pavot, chanvre, chia, lin, etc.), Amandes noix noisettes et les tropicales noix de macadamia, pécan, cajou, pili, kenari, pistache, etc. Pollen, graines germées (sauf blé), algues fraîches et sèches, fruits gras comme avocat, sagou, pili, coco sous toutes formes, champignons frais et/ou secs.,. J'en oublie sans doute.
Philippe : J'aurais plutôt eu tendance à ranger les graines oléagineuses et noix de toutes sortes dans la catégorie des lipides. Mais il est vrai qu'elles comportent également beaucoup de protéines.
Quant au pollen, 100g de pollen comporte 60g de glucides dont 30g de sucres simples! Vous êtes sûr de votre coup?
Bernard : Notre classification n'a pas de valeur académique mais juste pratico-pratique pour optimiser l'alimentation naturelle. On ne parle d'ailleurs pas de catégories mais de séquences qui composent les repas.
Le pollen est un exemple de contre-exemple en ce sens que c'est un aliment qui peut s'offrir (par la nature) mélangé avec du miel, de la cire, de la gelée royale, de la propolis et même des larves d'abeilles. Ce mélange peut être placé dans nos séquences fonctionnelles dans la séquence "Produits sucrés" et/ou dans la séquence "Protéines".
Le repas de midi comprend les Séquences de Fruits frais et Produits sucrés. Le soir : Protéines + Légumes +, éventuellement, Fruits frais (1 sorte de préférence).
Philippe : Ok je comprends le raisonnement. J'aime bien l'idée de laisser le corps décider plutôt que ce que racontent les nutritionnistes qui bien souvent ne font rien d'autre que de propager une idéologie.
Et sinon, au lever, si on a faim (ce qui est toujours mon cas), on se dirige vers quoi, en se basant sur votre principe de "séquences"?
Bernard : L'expérience montre que le matin n'est pas fait pour manger. C'était d'ailleurs l'une de mes "angoisses" à mes débuts : ne pas manger le matin me paraissait "infranchissable". En réalité, le fait de faire des repas comme on les fait, tous extrêmement satisfaisants et gratifiants, fait qu'on n'a plus faim le matin.
On distingue en fait la fausse faim, celle dont vous me parlez sans aucun doute, et la vraie faim qui s'exprime tout à fait différemment.
Au final, tout s'équilibre merveilleusement bien et chaque élément trouve sa juste place et tout fonctionne avec une précision horlogère comme je le disais ce matin dans mon séminaire.
Ne me croyez pas surtout : venez-le vérifier par vous-même lors d'un prochain séjour dans notre maison "Mangeons Nature".
Philippe : J'imagine bien que de manger des protéines le soir amenuise les chances d'avoir faim au réveil. Cependant, j'ai pris l'habitude de ne rien manger après 16h30. C'est comme cela que je me sens le mieux et que je dors comme un loir. Par contre je peux vous dire que la faim que je ressens le matin est de la vraie faim, et non de l'envie de manger. Surtout que je ne mange pas directement au lever, je fais 45mn à 1h de sport à jeûn avant. Bref, croyez-moi, c'est tout sauf de la "fausse faim".
Bernard : Ne prenez pas comme argent comptant tout ce que je dis. C'est valable dans le cadre de l'alimentation naturelle. Si vous êtes satisfait de ce que vous faites en ce moment, continuez.
Philippe : Merci pour cette discussion enrichissante. Vous m'avez donné envie de me pencher sur cette façon de s'alimenter ! Et surtout, ça fait plaisir de trouver quelqu'un qui échange en matière d'alimentation sans se référer à une idéologie particulière.
Propos recueillis sur Facebook
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